Si jeunes, si insouciantes.
Nous jouions comme des grandes sans avoir dépassé l'enfance. Je t'aimais sans le comprendre.
Comment réaliser à cet âge, lorsqu'on a toujours été attirée par les garçons, qu'on puisse aimer une fille?
Nous avions quinze ans, ce bel âge adolescent.
La première fois que je t'ai vue, nous rentrions en sixième. Ma mère connaissait ton père, je te l'ai signalé et ta réponse fut glaciale. Tu ne restais qu'avec une seule personne, une fille que je n'aimais pas. Tu semblais particulièrement effacée, avec assez peu de personnalité. A la fin de cette première année scolaire, tu étais déjà ma meilleure amie. Nous avons commencé à beaucoup nous fréquenter. Tu dormais chez moi, je dormais chez toi, je passais des jours entiers à tes côtés, tu venais m'épauler, je mangeais avec toi, tu dinais près de moi. Nous parlions sans cesse.
L'année d'après, nous avons eu notre première dispute. Rien de grave. M nous a réconciliées. Je le vois encore tu sais, il est mon meilleur ami. Il ne réalise pas toujours ce que nous avons vécu toutes les deux, dans cette bulle secrète.
Tu m'as fait rire si souvent, tu m'as tellement fait sourire. Notre relation était presque exclusive pourtant nous étions meilleures amies.
Et puis, nous sommes arrivées en troisième, l'année où on se cherche, l'année de la découverte. J'étais amoureuse d'un garçon et toi aussi, alors voilà, notre relation semblait normale. Pourtant, tout le monde pensait que nous étions ensemble. Tu me tenais la main, nous nous faisions des bisous et tu restais toujours assise sur mes genoux. Un jeu, le début de ce fameux jeu si excitant auquel nous avons cédé.
L'été fut fort. Très fort. Tu es partie pendant un mois aux Etats-Unis. Tu me manquais horriblement. Je me souviens des mails que tu m'écrivais, ils étaient beaux, ils étaient forts. J'avais toujours peur que tu m'oublies, peur qu'il t'arrive quelque chose. "Bisous je t'aime aussi plus que toutes les choses qu'il existe. Tu me manques horriblement". C'était tes mots.
L'arrivée au lycée nous a complètement bouleversées. Pour la première fois, nous étions séparées. J'avais du mal à vivre sans toi, à ne pas te voir tous les jours. Tu avais rencontré d'autres personnes et je sentais que tu me remplaçais.
Mais un lien plus fort nous unissait. Tu m'avais confiée ne pas aimer que les hommes. M a toujours pensé que tu m'aimais. Il avait peut-être raison mais sache aujourd'hui que cet amour était partagé. Nous avons accéléré ce jeu si étrange, il n'était plus du tout aussi insouciant. Quand nous allions au cinéma, nous avions des gestes tendres dans la pénombre, à l'abri des regards. Tu me disais toujours "Ne dis rien à personne, cela reste entre nous, c'est notre secret." Parfois, tu m'embrassais pour me dire bonjour. Je n'étais pas d'accord et tu le savais, tu aimais vraiment me provoquer. Cette année-là, nous sommes allées beaucoup trop loin, nous avons franchi la limite du franchissable. Nous n'étions plus que de simples amies. Nous avons couché ensemble. C'était fort, c'était doux, c'était la première fois. Quelques temps avant nous avions eu une dispute, une dispute si forte que j'avais cru te perdre pour l'éternité. Cet acte faisait office de réconciliation. Enfin, nous nous sommes vraiment perdues. Pour toujours. La dispute fut si horrible que je l'ai occultée. Je me rappelle juste que tu m'en voulais de fréquenter un garçon, tu m'en voulais car notre relation était autre chose qu'une amitié mais nous ne l'avions jamais clarifiée.
Je n'ai pas été quelqu'un de bien avec toi pourtant je t'ai aimée comme je n'ai rarement aimé mais je n'étais pas capable d'assumer à cet âge. En effet, ta bisexualité m'intriguait. J'ai mis plusieurs années à reconnaître ces sentiments. Pendant près de trois ans, je suis restée avec R, mon premier amour masculin. Je l'ai aimé d'une force incroyable et je pensais pouvoir rester avec toujours. A ce moment-là, j'essayais d'oublier notre histoire. Pourquoi aurais-je aimé les filles puisque j'étais si bien avec un homme?
Cet été, j'ai réfléchi. Comment cela se faisait-il que je sois si attirée par certaines filles depuis ma plus jeune enfance? En quelque sorte, quelques années après, tu m'as aidée à faire ce coming-out dont j'avais besoin.
Reviens.
Klimt, Deux Amantes, 1905